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L'œuvre

Par Françoise LEROY

Du réalisme à la peinture surréaliste, Regner a suivi un chemin très personnel. En 1945, il rompt brutalement avec l’académisme qui l’a conduit dans une impasse et, prenant appui sur la théorie freudienne de l’inconscient, il met progressivement au point une nouvelle manière fondée sur le dessin automatique transposé ensuite en peinture. La démarche surréaliste concerne donc la genèse de l’œuvre mais l’exécution picturale relève du beau métier, fondamental pour l’artiste. La connaissance approfondie des maîtres anciens et contemporains, une grande maîtrise de la peinture à l’huile et un talent aigu de coloriste, lui seront des auxiliaires précieux pour parvenir à une création plastique d’une grande qualité et résolument neuve. Sans s’intégrer à un groupe, Regner réalisera ainsi un vrai surréalisme pictural.


1. 1919-1927. Premiers pas en province.

A Calais, parallèlement au travail ingrat de dessinateur en dentelles, Regner consacre son temps libre à la peinture ; il suit les cours de l'Ecole des Arts Décoratifs et expose régulièrement aux Salons de Calais et Boulogne-sur-Mer. Il commence aussi une étude approfondie de la peinture qui, de Courbet à l’abstraction figurative en passant par l’impressionnisme, les nabis, les fauves, les cubistes et les peintres de tradition française, se prolongera jusqu’à la guerre. Durant cette première période, Regner peint des toiles réalistes, natures mortes, paysages, portraits, dans une facture solide ; les couleurs marquent la succession des plans dans l'espace tandis que les touches, bien appuyées dans la pâte épaisse, créent le relief et accrochent la lumière.

La Vasque au parc Saint-Pierre, 1922.

Cat. 10, p. 48 et 213

Roses fanées, 1925.

Catal. 23, p. 50

Les fleurs ne sont ni dessinées ni modelés ; la matière picturale épaisse et la direction de la touche créent seules le volume.

Autoportrait, 1924

Catal. 19, p. 33

Peinture d’un grand classicisme qui met en valeur le regard vif et le front haut.


2. 1929-1944. Vivre et travailler à Paris puis à Fontainebleau.

Après le service militaire exécuté en Tunisie, R. rentre en métropole en 1929. Il décide de se consacrer à la peinture et quitte Calais, son travail, sa famille, pour la capitale.

Dans le Paris de l’entre-deux guerres où la vie artistique intense est traversée de courants nombreux, divers, voire contradictoires, Regner s’inscrit en 1931 à l’Ecole des Arts Décoratifs et fréquente l’atelier de Raymond Legueult ; ce choix éclaire son évolution picturale. En effet, Legueult fait partie d’un groupe informel d’amis peintres, réunis à partir de 1920, par une expression artistique commune qui se réfère à Matisse et à Bonnard. Après la guerre, ce groupe sera dit de la Réalité poétique.

Les peintres de la Réalité poétique aiment la nature et transforment la sensation immédiate du réel en un lyrisme modéré. Leur art est d’abord lumière, joie de vivre, équilibre ; ils privilégient les scènes d’intimité, les êtres aimés -femmes et enfants-, les natures mortes peuplées d’objets du quotidien et de textiles, les paysages urbains ou champêtres empreints de simplicité ; ils visent l’harmonie par le dessin et les accords colorés. Ces genres traditionnels, Regner les a adoptés depuis ses débuts en peinture, il les traitera selon l’enseignement reçu et les exposera dans les galeries et les Salons, notamment celui des Artistes Français.

Les paysages.

Regner dessine sur le motif mais peint dans son atelier avec une certaine tendance à la simplification.

La cathédale de Bayeux, 1937.

cat. 54, p. 28

Quatre bandes horizontales superposées créent la profondeur, elles sont équilibrées par les verticales des arbres et des tours. Diverses teintes de vert contrebalancent la structure géométrique très affirmée.

Les portraits.

L’intimité familiale et son atmosphère paisible sont pour Regner une source inépuisable d’inspiration.

La lecture - Jeanne lisant, 1934.

cat. 32, p. 52

Prégnance de la structure géométrique qui s’atténuera au fil des années.

La Sieste - Jeanne assoupie - Le modèle assoupi, 1943.

cat. 109, p. 65 et p. 26

Nicole lisant - La Petite liseuse, 1943.

cat. 90, p. 61

Autoportrait - Les années pénibles, 1942.

cat. 75, p. 34

Cette toile, seul témoignage dramatique de la période de l’Occupation, révèle les premiers symptômes d’une dépression nerveuse qui terrassera le peintre l’année suivante. L’enseignement, la famille, les difficultés de la vie quotidienne ; force est de constater qu’il reste peu de temps pour la peinture. Mais si la maigreur et le burnous rappellent le rationnement en nourriture et en combustible, les difficultés ne sont pas seulement matérielles, comme l’indiquent les yeux qui ne regardent ni le miroir ni le tableau en train, le pinceau levé -pour un temps de réflexion sur la peinture mais aussi sur le peintre-, ainsi que la grande palette vue par au-dessous et disposée en travers du corps. Les temps sont durs : Regner pressent l’impasse où se trouve sa peinture.

Vierge à l’enfant – Jeanne et Anne, 1943.

cat. 108, p. 65

Les êtres aimés encouragent le peintre à poursuivre malgré les difficultés. La Madone du Grand-Duc de Raphaël empreinte de grâce et d’idéal, devient une maternité charnelle où la Vierge/Jeanne, puissante et protectrice, entoure leur nouvel enfant de son amour.

Les natures mortes.

C’est un thème récurrent chez Regner qui opte en général pour un cadrage serré, choisit souvent un point de vue élevé et, comme Matisse, masque les indications de la profondeur par des tissus aux motifs variés. L’équilibre des compositions et des couleurs caractérise l’ensemble des natures mortes.

Le Melon, 1935.

cat. 39, p. 53 et 30

La structure géométrique affirmée, caractéristique des œuvres du début des années 30, trouve un renfort dans le point de vue adopté qui met en valeur les horizontales et les verticales équilibrées par les courbes et les jeux de transparence.

Deux citrons et l’aiguière, 1936.

cat. 52, p. 54

Le changement de point de vue engendre une modification radicale de la représentation ; les objets vus d’en haut se superposent dans le plan de la peinture tandis que la transparence de l’aiguière et les tissus, unis ou à motifs, éliminent les repères spatiaux. Formes et couleurs deviennent le sujet de la toile.

Le masque japonais – Le Masque de nô, 1938.

cat. 62, p. 55

La sobriété des couleurs caractérise cette toile où les contrastes s’organisent dans un équilibre subtil. Aux lignes droites et aux courbes agressives des objets peints dans des tons sombres répondent la souplesse du tissu blanc nuancé de gris, de rose et de vert, et les volutes de la fumée d’opium qui apaise les angoisses incarnées par le masque.

Bibelots masculins (gants et chapeau), 1941.

cat. 69, p. 56

La composition et les couleurs élégantes et sobres des différents objets évoquent le propriétaire et ses goûts, à la manière d’un autoportrait.

Les Dahlias, 1942.

cat. 79, p. 58

L’équilibre de l’organisation des formes et des couleurs assure la réussite de cette toile malgré le point de vue élevé peu fréquent pour les représentations de bouquets.

Trois Poires, 1942.

cat. 82, p. 59

Composition savamment équilibrée où la couleur et le travail de la brosse modèlent les fruits et les feuilles tout en indiquant l’existence des plans horizontal et vertical.

Pomme et tasse, 1942.

cat. 83, p. 59

La même année, Regner modèle le fruit par les changements du ton local et non par les modulations de la couleur comme dans Trois Poires ; et il indique les ombres portées ignorées dans la représentation des poires.

Nature morte marocaine, 1943.

cat. 99, p. 63

R. équilibre la richesse des formes et des couleurs dans un espace volontairement restreint qui met en valeur la peinture plus que le sujet.

Sept Poires – Poires et flacon de calvados, 1943.

cat. 100, p. 63

Le tissu décoratif couvre toute la surface de la toile et seule l’orientation des motifs indique les plans perspectifs.

Pendant plus d’une décennie, la conscience critique de Regner l’a amené à reprendre les mêmes sujets en variant le traitement pictural des objets et des plans mais sans résultat vraiment satisfaisant. Pourtant une évolution se fait jour en cette année 1943, à rapprocher de la découverte des toiles de Bonnard cachées dans le Château de Fontainebleau mais montrées au peintre par l’ami Charles Terrasse, neveu de Bonnard et conservateur du Château. Désormais, les compositions s’allègent, le dessin s’efface au profit de la couleur, la palette s’éclaircit et se libère de la reproduction de la réalité.

Bibelots féminins, 1943.

cat. 103, p. 64

Comme il l’a fait avec Bibelots masculins, R. réalise un portrait de son épouse à travers les objets choisis, la délicatesse des couleurs et la légèreté avec laquelle le pinceau caresse la toile.

Coupe irisée et éventail, 1943.

cat. 104, p. 64

Masque nègre et vase de rocaille, 1943.

cat. 116, p. 66

Les objets aux formes simplifiées, peints dans des tons vifs libérés de toute fonction descriptive, se chargent d’un dynamisme intense auquel le peintre fait écho avec sa signature ondulante et colorée en haut et à droite de la toile.

Nature morte au pot cachemire, 1944.

cat. 111, p. 65

Le traitement pictural dynamise la représentation : à partir du pot et de l’aubergine stylisée qui décore sa panse, R. organise un enchaînement décoratif de formes courbes qui se juxtaposent ou se répondent tandis que les tons s’écartent de la réalité. Tout en ramenant à un seul plan les éléments de la composition, ces divers procédés affirment l’autonomie de la peinture.

Nature morte aux citrons verts et oranges, 1944.

cat. 112, p. 65 et 28

Cette toile lumineuse est très proche de certaines peintures de Bonnard (La Nappe blanche, 1925, Musée de Wuppertal) par le point de vue, l’absence de dessin, la dominante jaune et la lumière solaire.


3. 1945-1953. La peinture surréaliste : première manière.

Les années 1943-1945 sont marquées par une dépression nerveuse qui atteint son paroxysme en 1944. Regner met à profit cette période très difficile pour repenser sa création plastique : la tradition de la peinture figurative l’a mené dans une impasse, c’est à lui de tracer son propre chemin. Dès 1945, il s’engage dans l’expérience du dessin automatique qui marque une rupture totale avec la période précédente, et conçoit une manière de peindre très personnelle.

Le peintre surréaliste André Masson avait réalisé dans les années 1920 les premiers dessins automatiques, exécutés sans aucun contrôle de la conscience. Regner connaît certainement ces essais auxquels Masson n’a pas donné suite, mais plus déterminantes ont dû être dans ces années douloureuses la lecture de Freud et de la théorie de l’inconscient. Dans ce dernier, R. voit une « terre inconnue » qu’il se donne pour mission d’explorer ; il réalise alors ses premiers dessins automatiques où peu à peu se matérialisent sous ses yeux des figures, un sujet, comme des données enfouies dans l’inconscient se fraient un passage vers la conscience.

catal. 181, p. 80 ; p. 47 ; p. 35.

La nuit durant ses insomnies, les yeux fermés ou dans le noir, Regner laisse son crayon courir sur une feuille de papier ; ce sont ses « gribouillis » dont il noircit des carnets. Il les reprend, le lendemain ou plus tard, et à travers l’écheveau des traits dessinés, il identifie des formes figuratives susceptibles de s’agencer en scènes. Cet abandon délibéré de la volonté au profit des forces de l’inconscient permet de laisser venir jusqu’à la conscience un, deux, voire trois sujets que l’artiste conservera dans l’œuvre peinte.

Dans une seconde étape, Regner élimine tous les traits superflus pour ne garder que les contours simplifiés des figures qu’il a identifiées. Puis il emboîte ces contours les uns dans les autres en leur imposant une ligne commune, la ligne en retrait d’une figure correspondant à une ligne qui avance chez l’autre, modifiant éventuellement le dessin pour parvenir au résultat plastique souhaité. Ensuite, le peintre élabore les fonds en faisant alterner zones claires et zones sombres en opposition avec les figures placées en avant d’eux. L’épure ainsi terminée rejoint les autres dans un « cahier de gestation ».

C’est dans la contemplation de l’épure que « le sujet donne la couleur », le peintre définit, agence et note les différents tons. Quand enfin vient le moment de transposer le dessin en peinture, Regner le reporte à l’échelle sur la toile avant de prendre brosses et pinceaux ; il n’exécute pas d’esquisse en couleurs, cette étape intermédiaire nuisant selon lui à la spontanéité de la représentation définitive. Les couleurs, souvent posées en aplat, peuvent alors faire jeu égal avec les lignes et les emboîtements déterminés par le dessin ; l’ensemble assure un grand dynamisme à la représentation définitive et participe à sa signification symbolique.

Puberté – La Poupée, 1945.

cat. 125, p. 67

La nouvelle technique de travail renouvelle les sujets ; jusque-là Regner portraiturait séparément les membres de sa famille, ce sont maintenant des scènes de l’intimité familiale qui surgissent des dessins automatiques.

Dans cette toile, Regner applique de manière encore sommaire les principes de la ligne commune et des emboîtements et recourt à divers motifs décoratifs pour situer la scène en intérieur.

Bouderie – Brune et blonde, 1946.

cat. 129, p. 27 et 68

La vitalité des deux filles aînées, jumelles aux physiques et aux tempéraments opposés, fournit au peintre une multiplicité de scènes à décrypter dans les gribouillis. Regner souligne généralement leur dualité en peignant le corps de la brune sur un fond clair et celui de la blonde sur un fond sombre. Ici, les deux sœurs se tournent le dos et ne se touchent qu’à l’endroit où le bras de l’une épouse l’épaule de l’autre ; en cet unique point de rencontre, le peintre indique l’opposition des tempéraments : aux longues courbes du bras de la blonde qui évoquent Matisse ou le Picasso des portraits de Marie-Thérèse Walter, Regner oppose les lignes simplifiées et anguleuses du bras de la brune.

Le Poisson rouge, 1946.

cat. 135, p. 69

Les corps de la brune et de la blonde un temps réconciliées s’épousent étroitement parmi les motifs décoratifs alternativement clairs et foncés. La représentation est ainsi ramenée à la bidimensionnalité du support à la manière matissienne.

Confusion – Le Perroquet rouge, 1946.

cat. 139, p. 70

Les sujets de Regner ne sont pas seulement des anecdotes de la vie quotidienne ; ils comportent souvent une part d’universel dans les sentiments exprimés. Ici, les courbes aux inflexions harmonieusement repliées sur elles-mêmes, soulignées par des coups de brosse rapides, remplacent le modelé absent et traduisent aussi le sentiment éprouvé par la fillette. Son compagnon à plumes qui entre de plain-pied dans la scène pour la consoler, fait partie d’un bestiaire personnel que le peintre enrichira plus tard de créatures fantastiques.

Le téléphone, 1946.

cat. 143a, p. 71

Comme souvent durant cette période, la matière picturale participe à l’animation de la surface : le manche du pinceau, les dents d’un peigne ou un petit ustensile circulaire s’impriment dans l’épaisseur de la pâte et créent des reliefs qui font vibrer la peinture. L’intensité des couleurs primaires dans le haut de la toile et les teintes tendres des bras aux contours légèrement colorés traduisent la concentration du corps et du mental tendus dans l’écoute.

Le Cheval à bascule, 1947.

cat. 144, p. 72

Mannequin et ruban bouillonné - L’Atelier de confection, 1947.

cat. 150, p. 72

Le sujet et les grandes dimensions de la toile permettent à Regner de mettre en œuvre concomitamment les différents procédés mis au point dans les années précédentes. Etagères, chapeaux, tissus, table imposent leur présence dans le même plan que les figures et procurent au peintre le plaisir de combler toutes les parties de la surface et de les équilibrer par la forme et la couleur. Il recourt aux instruments déjà cités pour travailler la matière picturale et attribuer des valeurs tactiles aux différents textiles représentés. Enfin, il accentue la simplification des contours pour renforcer l’impression de puzzle de l’ensemble.

La Harpiste aux mains agiles, 1948.

cat. 148, p. 72 et p. 32

Les lignes sombres des contours, communes à deux figures, vont peu à peu céder la place à des lignes blanches plus larges qui allègent la représentation en offrant un espace de respiration aux différentes plages colorées. La comparaison entre deux toiles de sujet voisin et réalisées la même année est explicite.

L’Epaule fraternelle, 1948.

cat. 154, p. 74

Les lignes sombres créent des contrastes affirmés qui ne permettent pas à l’harmonie énoncée dans le titre de s’exprimer complètement.

L’Eventail déployé, 1948.

cat. 155, p. 74

La ligne blanche qui enveloppe d’une manière presque continue les deux figures et qui trouve des échos dans les courbes intérieures, traduit picturalement l’idée du secret murmuré rapprochant la brune et la blonde dans une intimité charnelle.

Rêve d’évasion - Le Petit Bateau bercé, 1948.

cat. 159, p. 75

Cette œuvre qui évoque la mer et ses plaisirs illustre la manière dont Regner conçoit sa peinture : le sujet donne la couleur, la première touche donne le ton et le reste suit. Le peintre décline diverses nuances de bleu sur toute la surface tandis que les courbes et contrecourbes des lignes blanches légèrement bleutées, déposées avec une brosse peu chargée en peinture, suggèrent le bercement des vagues.

La Gondole – Le Manège, 1950.

cat. 166, p. 77

Les formes déchiffrées dans les gribouillis peuvent exercer une contrainte sur la représentation : ici, des courbes puissantes enserrent les trois figures et déterminent leurs attitudes comme si le peintre les soumettait à la « loi du cadre ». Les formes laissent en revanche une certaine latitude à l’interprétation : voyage à Venise ou tour de manège, balancement d’un lieu à l’autre? Les lignes, les emboîtements, les motifs décoratifs et les couleurs dont certaines sont animées de transparences, tout est soigneusement pensé en fonction de l’idée que la peinture est surface à combler.

La Fille autoritaire – Violence, 1951.

cat. 178, p. 80

Les lignes blanches découpent des formes anguleuses ou arrondies chargées d’exprimer l’agressivité de la fille dominatrice face à la douceur de celle qu’elle empoigne, mais aussi et d’une manière plus générale les rapports d’autorité et de soumission. Les couleurs choisies symbolisent elles aussi les tempéraments opposés des protagonistes.

Perfidie, 1951.

cat. 179, p. 80 et 13

Le Pain quotidien - Lassitude, 1952.

cat. 190, p. 83 et p. 26

La composition repose sur des oppositions atténuées mais bien présentes : de part et d’autre d’une ligne oblique s’affrontent et s’imbriquent angles aigus et angles arrondis, tons chauds et tons froids ; l’ensemble reste cependant très homogène grâce à la touche divisée qui anime et unifie les différentes plages colorées. Ces caractères plastiques, de même que les traits des visages, expriment les sentiments éprouvés par la fille buté et la mère aimante mais épuisée.

Effondrement – A la plage, 1952.

cat. 188, p. 82

Les lignes blanches font leur apparition sur le fond bleu unifiant ainsi l’ensemble de la représentation ; l’année suivante, Regner théorisera et systématisera cette intuition.


4. 1953 -1987. La peinture surréaliste : seconde manière.

L’invention créatrice de Regner va s’exprimer pleinement durant cette dernière période. Dès 1953 et tout en gardant le principe du dessin automatique, l’artiste met au point un protocole d’exécution qu’il respectera toujours scrupuleusement. Comme il maîtrise désormais les divers aspects techniques de son travail, le cadre qu’il s’impose va lui permettre de libérer ses impulsions créatrices.

p. 40 (dessin automatique)et 41 ( préparation des écrans) ; p. 218

Le point de départ demeure donc le dessin automatique et ses entrelacs où le regard du peintre identifie des formes qui s’imposent à lui, et où la main établit les grandes lignes du sujet selon les lois de la composition parfaitement intériorisées. Puis vient la répartition des zones d’ombre et de lumière, les « écrans ». Cette première étape est transposée à l’échelle sur la toile.

p. 215, 141, 220 et 221,

Le peintre recouvre alors les écrans d’un damier irrégulier de couleurs claires ou soutenues ; ces premières couleurs créeront, sous les couches ultérieures et par transparence, la lumière qui dans l’œuvre achevée semble naître de la matière elle-même. Tous les tracés du dessin automatique sont ensuite reportés sur les damiers, à l’échelle et à la craie blanche, puis repris en demi-pâtes blanches.

Les figures aux contours blancs bien affirmés, sont alors exécutées en couches successives de pâtes légères, de glacis et de couleurs « tirées » où la brosse effleure les aspérités de la surface en laissant des traces d’épaisseur variable. L’enchevêtrement des traits blancs fait éclater une multiplicité de plages colorées : tracés et surfaces où la brosse passe et repasse, forment alors un ensemble vibrant qui dynamise toutes les représentations quel qu’en soit le sujet.

Ce savant travail de la brosse et du pinceau est rendu possible par l’utilisation d’un médium dont Regner a trouvé la recette dans un vieil ouvrage : faire cuire au bain-marie de l’huile de lin à laquelle on ajoute une gousse d’ail, laisser décanter pendant deux ans à la lumière solaire. L’artiste obtient ainsi une huile très siccative qui autorise des transparences de la couleur et assure dans les empâtements une grande solidité de la matière ; plus besoin de recourir au vernis qui jaunit en vieillissant et dégrade les tons et leurs harmonies. Par ailleurs, en vrai coloriste, le peintre élimine l’ombre et la lumière ainsi que la modulation qui en découle.

Dans cette nouvelle phase de son travail, Regner ouvre grand la porte à d’innombrables personnages, êtres humains, animaux réels ou imaginaires, qui tiennent un rôle dans des scènes réalistes, dramatiques ou humoristiques, ou encore complètement fantaisistes.

Le titre mettra un point final à l’élaboration de l’oeuvre car c’est souvent après leur achèvement que l’artiste nomme ses œuvres ; certaines en reçoivent plusieurs au gré des expositions et des changements d’état d’esprit de leur créateur –ce qui souligne la polysémie des représentations. Son goût pour la littérature et pour les écrits surréalistes en particulier lui inspire souvent des titres originaux avec des inventions verbales et des associations insolites ; dans ce domaine, le monde animal le met particulièrement en verve. L’identité de ses sujets peut également naître de sa vaste culture artistique et littéraire ou tout simplement de sa vie quotidienne.

Pendant quelques années, l’entourage familial qui s’agrandit continue à dominer les représentations ; il jalonne d’ailleurs toute la production picturale même quand celle-ci se diversifie. De temps en temps apparaissent des sujets religieux et quelques œuvres font référence à la littérature, au théâtre ou au cinéma. A partir de 1959, les animaux font irruption dans le monde de Regner et vont y tenir une grande place ; le bestiaire du peintre est particulièrement riche, oiseaux, quadrupèdes, batraciens, insectes et d’autres encore, fruits de libres rencontres entre l’imaginaire et le hasard.

Les sujets humains.

La Mère et la fille, 1953.

cat. 197, p. 87

Les ailes de la cornette des Filles de la Charité ainsi que les attitudes de sollicitude et de confiance des deux figures, ont induit le titre de l’œuvre. soutenues par le réseau de lignes blanches qui recouvre toute la surface picturale, ont certainement induit le titre de l’œuvre.

La Ruche entrouverte, 1952.

cat. 194a, p. 85

Regard dans la ruche, 1954.

cat. 210, p. 89

Ce rapprochement indique bien les apports positifs de la nouvelle manière qui maintient la présence des tracés du dessin automatique dans l’œuvre définitive ; par ce procédé, Regner unifie l’ensemble de la représentation dans une composition harmonieuse.

Les Portaises – L’Etal de poissons – Nausicaa découvre Ulysse, 1955.

Cat. 213, p.90

Les clientes se pressent autour d’un étal de poissons à Port-en-Bessin où Regner et sa famille passent régulièrement leurs vacances.

Le sujet donne la couleur que le peintre décline en de nombreuses nuances, exaltées par des couleurs opposées ou complémentaires ; les couleurs fixent chaque plan à la distance voulue et créent l’ambiance lumineuse. Les contours blancs découpant des silhouettes élégantes et la présence des lignes du dessin automatique assurent la qualité décorative de cette grande toile.

Le troisième titre, humoristique, met l’accent sur la jeune fille blonde vêtue d’orange lumineux qui examine avec soin le poisson avant de l’acheter. Un souvenir de L’Odyssée a dû traverser l’esprit du peintre alors qu’il contemplait sa toile d’un regard plus distancié en vue d’une nouvelle exposition.

La Mort de la Vierge, 1956.

cat. 227, p. 94 + mon tableau

Les sujets religieux, peu nombreux dans l’œuvre de Regner mais tous d’une grande qualité, s’enracinent dans l’intérêt que le peintre a toujours porté aux religions, au mysticisme et à la spiritualité en général, même s’il s’est détourné de la pratique religieuse; tandis que leur identification puise dans la vaste culture visuelle du peintre. La plupart de ces sujets constituent une méditation sur la mort d’où la foi en la résurrection n’est pas exclue, comme incite à le penser la création plastique qui associe la beauté des formes et des couleurs à la lumière émanant de l’œuvre elle-même.

Pietà – La Déploration du Christ, 1957.

cat. 233, p. 96 et 15

Le découpage des formes et l’intensité des couleurs primaires font de cette toile l’équivalent d’un vitrail, écho peut-être de la longue amitié entre Regner et le maître verrier, Henry Lhotellier.

Cravates à la sauvette – Vente à la sauvette, 1957.

cat. 232, p. 96

Les cravates présentées sur le bord d’un parapluie retourné, récipient indispensable des vendeurs à la sauvette, sont évoquées par des bandes rouges et vertes prolongées de pointes triangulaires. Le rouge et le vert, repris en écho dans le store à l’arrière-plan, donnent à cette installation précaire une ambiance pleine de gaîté.

Fin d’opération, 1958.

cat. 240, p. 98 et 36

« Le sujet donne la couleur » : les bleus clairs et les blancs délicatement modulés recréent l’ambiance froide de la salle d’opération où s’empressent chirurgien et infirmières autour du corps encore endormi.

Les Artisanes, 1961.

cat. 254, p. 102

Mise au Tombeau (II), 1962.

cat. 258, p. 103 et 15

Ces deux œuvres illustrent comment une composition très proche et des tracés voisins peuvent engendrer des sujets différents. Dans le réseau enchevêtré du dessin automatique, Regner trace une composition fondée sur de longues orthogonales qui évoquent dans une œuvre le parallélépipède d’une table et dans l’autre un sarcophage au-dessus duquel s’inclinent des figures féminines. La nature du sujet décrypté entraîne le choix d’une couleur différente pour chacune d’elles.

Le Grabataire – Le Cul-de-jatte grabataire – Charité, 1964.

cat. 267, p. 106

Au milieu de couleurs assourdies, le bol qui contient la boisson roborative éclaire le visage et les bras de la femme attentionnée. Le deuxième titre, chargé d’un humour grinçant, montre comment l’humeur du peintre peut modifier son regard sur le tableau : le corps du grabataire ne possède effectivement ni pieds, ni jambes.

Pietà avec saint Jean, 1965.

cat. 283, p. 110

La Boule de cristal – Adolescence – Avenir – Angoisse, 1965.

cat. 278, p. 109

Le titre varie en fonction de la prégnance de tel ou tel élément quand le peintre regarde sa peinture mais il est aussi le résultat d’association d’idées.

L’Atelier, 1965.

cat. 303, p. 116

L’Atelier de fortune, 1966.

cat. 305, p. 116

A l’exception des deux autoportraits de 1924 et 1942, Regner n’apparaît pas dans ses oeuvres. Ces deux toiles ne représentent pas le peintre Regner mais n’importe quel peintre au travail dans son atelier, thème récurrent dans l’Histoire de la peinture –durant ces mêmes années, Picasso exécute de nombreuses gravures sur le sujet. C’est dans cet esprit que Regner qui a abandonné le modèle depuis longtemps, représente le peintre assis de dos entre son modèle et son daimon.

Ferveur – Les Pleureuses, 1967.

cat. 328, p. 125

Réminiscence d’une scène vécue ou expression de l’angoisse face à un événement redouté, cette œuvre est remarquable par sa composition qui répond à des lois parfaitement maîtrisées et intériorisées, si bien qu’au moment de la lecture du dessin automatique, elle vient sous le crayon en même temps que l’identification des formes.

Le Petit déjeuner au lit – Le Matin, 1967.

cat. 336, p. 128

Les innombrables nuances de rose et de bleu où les transparences jouent avec la densité de la pâte, ainsi que le réseau graphique, traduisent picturalement le réveil joyeux du jeune couple.

Les Musiciens, 1968.

cat. 341, p. 130

Les tracés blancs enchevêtrés sur les silhouettes sombres des deux musiciens sont l’équivalent pictural des vibrations sonores qui sortent des instruments.

La Hotte porte-bonheur – Inventaire de la hotte, 1971.

cat. 363, p. 134

Jeunesse – Que vais-je mettre ?, 1976.

cat. 375, p. 139

L’élégance des postures et des vêtements des deux jeunes filles qui entourent la nudité sombre de la troisième, l’ambiance poétique née des silhouettes juvéniles vues de dos ainsi que des transparences de la peinture –qui laisse voir le damier préparatoire-, mettent en évidence tout à la fois les grandes qualités picturales de Regner et le regard bienveillant et amusé qu’il porte sur le monde féminin dont il a toujours été entouré.

Les animaux entrent en scène.

Quand il représente des animaux réels, Regner ne se soucie pas de la ressemblance exacte, mais parvient à une synthèse de leurs formes qui les rend bien identifiables ; il campe les êtres hybrides ou complètement imaginaires avec le même naturel. Et il les dote tous d’attitudes et de regards qui expriment l’enjeu humain de la scène représentée. Le caractère surréel de la représentation naît alors de la cohabitation imposée, sans considération de nature et d’échelle, à ces diverses créatures, souvent rejointes par des humains ; de ces traits naissent l’étrangeté ou la cocasserie des situations. Le réseau graphique du dessin automatique assure la cohérence entre ces êtres disparates et leur milieu, tout en participant à l’expression de l’effet recherché.

Enfin, replacer certaines scènes dans le contexte de leur création, à une époque où bandes dessinées et films d’animation saturaient moins l’univers visuel, permet d’en apprécier davantage l’aspect inventif, comique, déroutant ou surréel, toujours mis en valeur par la qualité du dessin et de la couleur.

Le Monde des boudragues, 1959.

cat. 242, p. 98

L’insecte connu pour son gros appétit et qui occupe la presque totalité de la surface, part à l’assaut d’un petit être fantastique tout de rouge vêtu, pour le dévorer ou l’embrasser. Cette scène se déroule sous les yeux étonnés ou indifférents de volatiles et de crustacés à la taille inversement proportionnelle à celle de la réalité.

Autant en emporte le vent, 1964.

cat. 260, p. 104

Le caractère humoristique de cette probable scène de ménage vient de sa transposition dans le monde animal où un volatile agité adresse des reproches véhéments à un compagnon stoïque qui en a vu d’autres.

Animaux fabuleux – Le Poisson volant, 1964.

cat. 269, p. 106

La qualité de la composition et la beauté des formes et des couleurs l’emportent sur l’aspect intriguant du sujet et font de cette toile une grande réussite picturale.

L’Idole dans la grotte – Fidèles - Hétéroclites, 1965.

cat. 279, p. 109

Trois titres successifs susceptibles de rendre compte de l’assemblage hétérogène et pourtant plastiquement harmonieux surgi du dessin automatique.

La Taupe toupie, 1965.

cat. 275, p. 108

L’association des formes induit l’association verbale du titre de cette toile où la beauté des couleurs exalte la monstruosité ridicule de l’animal.

Sourde Rivalité, 1966.

cat. 291, p. 113 et p. 41

Le titre résulte de l’interprétation de la scène : l’attitude élégante et réservée, la blancheur aux transparences bleutées d’un des oiseaux s’opposent à l’attitude de l’autre, au corps solidement campé sur ses pattes et animé d’un réseau de lignes dynamiques et agressives, qui tourne un bec rouge dominateur vers le premier.

Le Secret, 1966.

cat. 311, p. 118

L’Oiseau crémaillère et le poisson – La Crémaillère dans le poulailler, 1966.

cat. 315, p. 120

Cohabitation improbable d’un gros oiseau prétentieux, affublé de plumes en forme de crans, et de volatiles et d’un poisson… La gaîté des couleurs sans rapport avec la réalité renforce l’aspect onirique de la scène cependant très solidement construite.

Démangeaison – Grattage à la saignée, 1966.

cat. 317, p. 121

Le comique naît des attitudes humaines attribuées aux batraciens qui se grattent tandis que l’écheveau des lignes suggère l’agitation des corps irrités.

Le Nouveau Perchoir, 1967.

cat. 326, p. 124

Le Bon Vivant, 1967.

cat. 330, p. 126

Dans la basse-cour, une joyeuse compagnie se tord de rire autour d’un volatile hilare, frisant l’apoplexie, et dont les formes rebondies débordent du maillot de corps. La cocasserie du sujet sort renforcée de la ressemblance avec des situations humaines.

Le Printemps – Avril – Jour d’avril, 1968.

cat. 339, p. 129

La nature reprend ses droits!

Le Dressage, 1968.

cat. 344, p. 13

Composition particulièrement réussie où les éléments essentiels sont disposés sur la diagonale de part et d’autre de laquelle se répondent les formes courbes.

L’Oiseau de malheur – Le Bouc émissaire coupable, 1969.

cat. 354, p. 133

Les Insectes studieux, 1971.

cat. 362, p. 135

Deux insectes aux longues silhouettes vêtues de couleurs raffinées s’instruisent dans un gros ouvrage sur l’Amour tandis qu’un troisième leur tourne le dos. L’élégance des formes et la transparence nuancée des couleurs atténuent le rire en sourire devant la prétention des personnages.

Protection maternelle – Le Refuge céleste, 1972.

cat. 373, p. 138

Tête de cochon – Accroupissement, 1980.

cat. 377, p. 140

Le Grand Cornu, 1981.

cat. 379, p. 141

Divers animaux très intéressés font cercle autour de la copulation ubuesque d’un monstre obèse et d’une poule écrasée sous le poids de son partenaire ; les cornes démesurées de ce dernier indiquent la précarité de sa situation dominante.